Collaboration artistique entre Bandjoun Station et deux Galeries d’Art béninoises: l’histoire du cinéma pour fantôme créé par trois jeunes créatifs béninois au Cameroun

Culture

Bandjoun Station fêtait ses dix ans d’existence en novembre 2023, à Bandjoun au Cameroun. Dans ce cadre, Steven Adjaï, Directeur et Curateur de « Gallery Charly » et les artistes plasticiens, Mazoclet Toninfo et Ulrich Gbaguidi de la « Galerie Arts Vagabonds Bénin » étaient invités. Pour eux, il était question d’échanger autour des résultats d’une recherche artistique qu’ils ont menée grâce à des bourses offertes par Barthélémy Toguo ; artiste plasticien camerounais contemporain de renommée internationale et fondateur dudit centre culturel.  Pendant leur séjour du 07 au 18 novembre 2023, les trois jeunes créatifs béninois ont présenté un dispositif visuel : un cinéma où les fantômes invitaient les humains à regarder un film invisible. Dans cette interview qu’ils ont accordée à notre rédaction, Steven Coffi Adjaï, Mazoclet Toninfo et Ulrich Gbaguidi nous racontent l’histoire autour de cet étrange cinéma.

Journaliste : Steven Coffi Adjaï, vous êtes le curateur qui a conduit les travaux de recherche d’ici, au Bénin, jusqu’au Cameroun. Dites-nous comment cette aventure a-t-elle commencé ? 

Adjaï Steven : Ce projet a débuté suite à des bourses qui nous avaient été octroyées par Barthélémy Toguo, fondateur de Bandjoun Station. En fait, il était venu au Bénin et il a voulu invité des jeunes créatifs béninois à venir fêter les 10 ans de son centre. C’est par cette occasion que les Galeries Charly et Arts Vagabonds Bénin se sont unies à travers nous trois pour pouvoir porter un projet de recherche qui a commencé au Bénin. Adjaï Steven : Ce projet a débuté suite à des bourses qui nous avaient été octroyées par Barthélémy Toguo, fondateur de Bandjoun Station. En fait, il était venu au Bénin et il a voulu invité des jeunes créatifs béninois à venir fêter les 10 ans de son centre. C’est par cette occasion que les Galeries Charly et Arts Vagabonds Bénin se sont unies à travers nous trois pour pouvoir porter un projet de recherche qui a commencé au Bénin. 

La convergence des idées a-t-elle été facile pour vous ?

Steven Coffi Adjaï : J’avoue que nous n’avons pas rencontré cette difficulté. Nous étions tous ouverts d’esprit sur le sujet de recherche. Ensemble, nous avons d’abord entrepris des conversations pendant pendant plus d’un mois. Puis l’idée du l’idée du fantôme est venu à nous comme une chose qui avait été toujours présente dans nos conversations : il fallait donc les interroger.

Les fantômes, je ne les vois pas forcément comme des esprits qui viennent hanter la quiétude humaine. Je les perçois comme des gestes humaines amenés à revenir. Ce que nous posons comme acte hier et qui continue d’influencer, de manière consciente ou inconsciente, le moment présent. C’est à partir de ce fil conducteur que nous avions déterré l’histoire de nos ancêtres communs. Nous sommes parvenus à trouver des filons qui nous unissaient. 

Mazoclet travaillait déjà sur les revenants depuis quelques années avec des recherches approfondies. Quant à  Ulrich Gbaguidi, son travail s’intéresse au Caméléon comme un être divin amené à influencer les actes humains. De tout ceci est ressortie une question : que fait-on d’une chose qui meurt pour le faire exister ? Cette question revenait avec insistance lors de nos conversations. Il s’agit donc de dire qu’est-ce qui reste et qu’est-ce que la mort fait aux êtres et aux choses. Nous avons finalement retenu une phrase : « Dans ce linceul impur, tu nous inviteras…». Nous avons voulu inviter le monde dans une histoire empreinte de métissage, d’hétéroclite des choses qui n’ont rien à voir en commun mais qui se mettent ensemble pour donner un tout. Un linceul impur car notre invitation se voulait dépourvue de tout univoque. 

Pourquoi un cinéma pour fantôme plutôt qu’un cinéma pour vivant ?

Steven Coffi Adjaï: Le Cinéma pour Fantôme, nous l’avons pensé  comme une sorte de profanation du dispositif cinématographique. Une chose amenée à parler du vivant à travers ce qui n’est plus et qui reste. En effet, notre équipe n’allait pas à Bandjoun Station pour une exposition ‘’classique’’. Quand nous y allions, nous pensions d’abord échanger autour des résultats de nos recherches avec les autres artistes invités. Puis créer, écrire des poèmes en hommage aux ancêtres. Nous avions rencontré la délégation des artistes togolais de la résidence « Art’Mésiamé » qui avait proposé le cahier d’artiste comme support de création. C’était une façon de déconnecter les artistes participants à cette résidence de leur médium d’expression habituel. C’est dans ce contexte que les deux artistes et moi avions ressenti ce désir intense d’exposer quelques feuillets de nos recherches, de marquer notre passage sur cet événement. Il nous fallait donc un espace de monstration. Ce qui n’était pas prévu puisque, presque toutes les salles du centre semblaient être occupées. L’équipe de Bandjoun Station nous a alors proposée leur salle de cinéma situé au sous-sol du centre. C’est ce lieu qui a accueilli l’exposition/installation le « Plein ou le Cinéma pour Fantôme » d’Ulrich Gbaguadi et de Mazoclet Toninfo. 

Dites-nous Mazoclet Toninfo, quelles ont été les œuvres que vous avez produites dans le cadre de ce projet ?

Mazoclet Toninfo : Dans le cadre de ce projet, j’ai écrit des oraisons sur de petites toiles et j’ai présenté une sculpture flottante, murale que j’ai nommée « Gbèbo » qui est le premier revenant à sortir du Gbalè (Couvent des Egunguns) pour ramener les revenants. J’ai aussi réalisé une sculpture le long de notre séjour intitulé « Ancêtre » et qui a connu  le famadihana à travers une performance de l’artiste visuel et performeur Ras Sankara. En effet, le famadihana est une célébration des morts qui se pratique au Madagascar. Sept ans après les funérailles, on déterre les ossements du mort pour l’habiller de  nouveau afin de le réactualiser.  

Je tiens à préciser que mes travaux visent à réunir les gens. Une tâche qui pour moi  se base sur 5 mots : le mouvement, la liberté, la rigidité, la flexibilité, l’unicité. En parlant d’union, nos cultes endogènes en sont déjà un bon exemple. Donc je questionne ce qui existe avant tout et avec tout : la mort. Car dans le culte africain, l’ancêtre a une place importante. Parce que c’est lui l’intermédiaire entre le vivant et les morts. De nos questionnements, on s’est rendu compte qu’au Cameroun, il existe aussi des cultes de mort qui se font avec des crânes. C’est de tout cela que j’ai puisé mes productions pour ce projet. 

Et vous, Ulrich Gbaguidi ? Quelles œuvres avez-vous eu à produire ?

Ulrich Gbaguidi : J’ai travaillé sur la recherche identitaire de l’homme. J’essayais de trouver réponse à une question fondamentale : quelle est la valeur intrinsèque de l’humain quand il transcende vers le divin ?  D’où mes recherches tournent autour du caméléon depuis 3 ans déjà. Il m’a été révélé par des dignitaires du culte Vodun que le caméléon symbolise le Sègbo Lissa (Dieu en langue Fon). Donc la première forme animalière dans laquelle Dieu s’est naturalisé sur terre. Étant sur ce projet,  j’ai voulu poursuivre mes recherches sur l’aspect divin de cet animal. Plus précisément, je voulais savoir quel est le regard des camerounais sur le Caméléon. Suite à nos discussions, et une fois au Cameroun, j’ai produit une œuvre intitulée « Humanité »,  exposée in situ.

En plus de cette œuvre, une grande toile de 3 mètres de longueur qui m’a été inspirée d’une parade à laquelle j’ai pris part sur la biennale de Bandjoun. En effet, cette parade m’a rappelé des souvenirs en étroite corrélation existante entre une partie des réalités béninoises et une partie des réalités culturelles camerounaises. Par exemple, certains de leur pas de danse me font penser à la danse Tèkè très remarquée au Nord Bénin. De même, les habillements des adeptes de ces cultes qui font penser au masque Guèlèdè de chez nous. Tout ceci m’a inspiré cette œuvre intitulée « Le choc des cultures » pour parler du brassage culturel qui existe entre les deux pays. J’ai aussi présenté une série de 54 œuvres, intitulée « La transcendance humaine », qui a été montrée dans l’exposition/installaion le « Plein ou le Cinéma pour Fantôme ». Cette série montre l’aspect transcendantal du divin que chaque personne peut s’approprier en se remettant en question et aussi un  pan des événements que j’ai vécus au cours de mon séjour. C’était pour permettre à chaque personne de s’identifier à ces œuvres. Comprendre mon travail, passe par la connaissance de mes idéogrammes qui sont le fil conducteur de l’idée développée. Les spirales parlent de l’être humain en transe; le triangle qui symbolise l’unité est le symbole le plus fort de la nature et sa représentation sur mes œuvres est pour insuffler l’énergie nécessaire à la philosophie de l’œuvre dans l’atteinte de ces objectifs, les flèches pour parler de la constance du temps, de la vie  à sens unique ; surmontés de petits traits, ces flèches mettent l’accent sur les maux du quotidien de l’individu. Et la succession des petits traits symbolisent  la notion de l’ethnicité. Car nous portons tous des marques identitaires qui peuvent être génétiques ou d’autre nature. Les textes viennent s’ajouter à mes œuvres pour faciliter leurs compréhensions parce que je me considère comme cette lumière qui éclaire l’individu dans l’obscurité.

Comment aviez-vous procédé à l’installation des œuvres sachant qu’une salle de cinéma n’était pas un cadre conventionnel  pour une exposition artistique ? 

Steven Adjaï Coffi : Il y avait un écran blanc devant des chaises alignées en deux rangées, les unes en bois taillé devant les autres en bambou. Ces sièges ont accueilli les oraisons de Mazoclet Toninfo. Et les poèmes d’Ulrich Gbaguidi. La première rangée était particulièrement reliée entre elle par un fil pour symboliser les liens visibles historiques entre les humains et leurs ancêtres. Sur l’écran blanc se diffuse symboliquement un film invisible projeté par vidéoprojecteur. De chaque côté, nous avions créés d’autres écrans pour les humains. Il y a eu l’œuvre « Gbèbô » placée au milieu du dispositif en plus d’autres oraisons sur de grandes toiles, de part et d’autres dans la salle. Le tout accompagné d’une grande toile d’Ulrich en face de laquelle, nous avions suspendu la sculpture « Ancêtre » de Mazoclet.

Avant de clore cette entrevue, Steven Coffi Adjaï, quelles ont été vos impressions sur cette première étape de votre travail avec les artistes. Qu’avez-vous envie de dire pour finir ? 

Steven Coffi Adjaï: Je reste satisfait de cette première étape. Même s’il nous reste encore du travail à abattre pour l’acte 2 du projet qui se tiendra ici au Bénin en février prochain. Cet acte 2 aura lieu à la « Galerie Arts Vagabonds Bénin». J’avoue que nous n’avons que des remerciements sur les lèvres. En l’occurrence à la personne de Barthélemy Toguo, à Charly d’Almeida, à Christel Gbaguidi, au personnel de Bandjoun Station sans oublier la Princesse Kéïrath, une des artistes de la « Galerie Arts Vagabonds Bénin ».

Mazoclet Toninfo et Ulrich Gbaguidi, vos mots de la fin.

Ulrich Gbaguidi : Je remercie personnellement la tête pensante de cette initiative. Je veux nommer Barthélémy Toguo. Il n’a pas hésité à mettre la main à la poche pour que ce projet soit. Je remercie l’équipe de la « Gallery Charly » qui nous a assistés. Merci à la « Galerie Arts Vagabonds Bénin » représentée par la personne de Christel Gbaguidi. Il s’est donné corps et âme pour que ce projet puisse se concrétiser. Il est de plus en plus rare de rencontrer une personne visionnaire comme lui dans le domaine artistique. Merci aussi aux moments chaleureux passés au cameroun avec des personnes exceptionnelles : de Douala jusqu’à Bandjoun Station : l’équipe de ArtMéssiamé, Karl, Rorbertine, Théophile, Thierry, Franck, Paul, Arnold, Boris, Davy, Roméo, Christian, Bienvenue, Winnie, Julie, Adeline, Anne, Béa, Pauline, Maria, Martine et tous ceux dont je ne me rappelle plus le nom. Ma reconnaissance s’adresse aussi aux ancêtres qui nous ont ouvert la voie car sans eux, ses idées ne seront peut-être pas concrétiser. Spécial merci à Rafiy Okefolahan et à tous ceux qui, de près ou de loin pour leur contribution au projet. Sincères merci aux partenaires de la Galerie Arts Vagabonds Bénin : Obagidi Immo Sarl, Benin Fresh Food Group Sarl pour leur implication financière responsable.

Mazoclet Toninfo : Je crois qu’il faut inviter les africains à se reconnecter à leurs ancêtres, à leurs sources. Et ce projet y contribue. Je me dois donc de remercier Barthélémy Toguo et toute l’équipe de son centre  pour le séjour chaleureux qui nous était réservé. Nous avions rencontré du monde au Cameroun. C’était magnifique ! En plus de ceux que mes confrères ont déjà remercier, tous nos remerciements à Dominique Zinkpè pour son soutien. Et aussi à tous ceux qui nous ont aidés dans l’ombre. 

Propos recueillis par Léandre Houan

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