A l’instar de l’enfance et de l’adolescence, la vieillesse est une étape de la vie. Cependant, pour les personnes qui arrivent à l’atteindre, la convivence avec les jeunes gens n’est pas toujours facile. Et pour cause, les vieilles gens font souvent face à un regard stéréotypé de la couche juvénile.
« Lorsqu’elles atteignent cette étape, les personnes du 3ème âge développent des caprices que les jeunes n’arrivent pas souvent à supporter ». Ce sont là les mots de Esther, étudiante à la Faculté des sciences humaines et sociales à l’Université d’Abomey-Calavi (Fashs-Uac). Pour la jeune socio-anthropologue, la cohabitation avec les personnes âgées nécessite une bonne maîtrise de soi et beaucoup de retenue car « elles sont souvent fermées d’esprit et ont un avis sur tout ». Sa perception est soutenue par Cornélia, étudiante à la Fast. Selon elle, « à cet âge, les personnes âgées deviennent des enfants mais avec de l’expérience. En fait, on doit s’occuper d’elles comme un enfant, mais leur vécu fait qu’elles ont tendance à s’imposer. Elles veulent vous apprendre à vous occuper d’elles. Elles n’admettent donc pas de nouveautés et deviennent encombrantes ».
Tout en partageant ce point de vue, Claudine, styliste modéliste, apporte une petite nuance. D’après la jeune fille qui aime énormément ses deux grandes mères, « elles crient beaucoup et font assez de réprimandes pour prévenir le danger. En raison de leurs expériences, les personnes âgées observent et approchent les situations avec sagesse ». Cependant, ajoute Claudine, elles manquent de patience et souvent, voient les choses d’une seule façon.
De la conscience et de la peine
Ces points de vue ne surprennent pas d’un iota les personnes âgées elles-mêmes. Au contraire, elles en sont bien conscientes. « Les jeunes gens trouvent que je parle beaucoup. À la maison, mes enfants et petits enfants estiment que je dérange parce que je n’admets pas la paresse. Je suis tout le temps en train de ranger, de crier, de les rappeler à l’ordre », déclare Sarah V., administratrice des finances à la retraite, personne du 3ème âge. Elle ne pense néanmoins pas arrêter. « Je ne vais cependant pas arrêter et je ne serai jamais fatiguée de réagir. Je ne peux pas voir quelque chose de mauvais et me taire. Tant que j’aurai de l’énergie, je vais dire », martèle la septuagénaire vivant à Cocotomey. Pour sa part, pépé W. Houessou rencontré à Vedoko dans la commune de Cotonou, se dit réservé sur la question. D’un naturel calme et observateur, il tient tellement à son autonomie qu’il s’efface autant qu’il le peut. « Les jeunes gens ont leur raison des différentes perceptions qu’ils ont sur nous. Généralement, certains ressentent de la pitié, d’autres sont exaspérés et d’autres ne nous voient pas. Je milite d’ailleurs pour qu’on ne me voit pas », confie le nonagénaire. A en croire le Magistrat à la retraite, « l’indifférence et le manque de respect dont font preuve les jeunes à notre égard me peinent beaucoup. Ils parlent d’une décadence d’époque pour justifier leur mépris de nous, de nos recommandations et de nos points de vue ». Le défenseur de la justice est néanmoins très patient. « La vieillesse est une étape de la vie. Je souhaite à ces jeunes d’aujourd’hui de vieillir également, car c’est à l’œuvre qu’on connait l’artisan », a déclaré le sage avec un air mystérieux qui en dit long et fait froid dans le dos. Cet air est le même abordé par mémé Colette. La main au menton, le regard fixe dans le vide, tranquille derrière sa marchandise dans le marché de Djadjo à Abomey-Calavi mémé Colette semble loin dans ses pensées. Sa recette du jour n’est pas très bonne. Et pour cause, « les gens me fuient et ne viennent pas acheter chez moi. C’est parce que ça parle de moi dans le marché. Ils me prennent pour une sorcière. Ils disent que je dois me reposer au lieu de venir vendre. Pourtant ils ne savent pas pourquoi je le fais », confie mémé Colette.
Entre poids de l’âge, sagesse et sorcellerie
Ce jugement est également une réalité à laquelle fait face les personnes âgées. Pour Tatiana, étudiante en socio-anthropologie à la Fashs, c’est à cause de leur apparence. « L’apparence des vieilles personnes fait qu’on imagine qu’elles sont sorcières. Les vieilles personnes, avec leurs cannes, courbées et les dents enlevées font penser qu’elles ont quelque chose », explique-t-elle. Elle avoue qu’ « Il y a une vieille chez moi, la première fois que je l’ai vue, j’ai automatiquement eu cette idée. Mais, après, avec le temps, j’ai commencé à l’apprécier. C’est leur apparence qui repousse ». Au-delà de l’apparence, Nandy, quant à lui, prend à partie le contexte béninois. En effet, lui n’a pas d’a priori particulier envers les personnes du 3è âge mais travaille avec les préjugés sociaux. « Je considère les personnes du 3ème âge comme des personnes normales et je ne ressens rien de particulier à leur égard. Seulement, quand je les vois essayer de traverser la route, je les aide sans leur garder la main ». Et ce, « parce qu’on est au Bénin. Je ne vais pas vouloir aider et disparaitre », a affirmé l’étudiant de l’Institut de formation et de recherche en informatique de l’Uac (Ifri-Uac). D’un autre côté, c’est l’exactitude de leurs observations qui exaspèrent certains. Selon Dr Rodrigue Montcho, sociologue et enseignant chercheur à l’université de Parakou, la personne du troisième âge, dispose d’expériences, d’un parcours qui fait que certaines choses qu’elle dit se réalisent. « Cela se réalise parce que l’autorité que ces personnes ont sur les choses, par rapport à leur regard, est liée à la connaissance, la connaissance théorique, sociale et spirituelle des choses. Donc, elles peuvent anticiper certains nombres de réactions, notamment des jeunes. Et quand ces prévisions ne finissent pas d’arriver, on va dire que c’est un vieux sorcier », explique le sachant.
Une attention particulière
Les personnes du 3è âge portent un poids qui n’est pas toujours perceptible par les jeunes. Le poids de la vieillesse, qui fait dégringoler leurs aptitudes physiques et psychologiques des fois. « La personne du 3 ème âge est une personne qui a été physiquement apte et qui aujourd’hui voit sa vie dégringoler, déséquilibrée. Elle commence à développer un certain nombre de comportements, de réactions qui surprennent », explique Dr Rodrigue Montcho. En effet, poursuit-il, « les personnes du troisième âge, à un niveau donné par rapport à leur évolution, deviennent un peu comme des personnes du premier âge, du tout premier âge, voire de la pré-enfance, qui ont des raisonnements qui peuvent étonner. C’est dans ce cas que l’on désigne les personnes du troisième âge, comme des vieux. », explique le sociologue.
Pour l’expert, cette faiblesse autant psychologique que physique, fait qu’il y a une certaine anormalité qui commence à les rendre très vulnérables. Et c’est cette vulnérabilité qui appelle des comportements discriminatoires comme observés de la part de certaines personnes, notamment les jeunes. Cela ne devrait cependant pas être le cas. En réalité et selon l’enseignant chercheur, c’est à ce moment là que les personnes du 3ème âge ont besoin d’attention et d’amour. Et cela commence par la suppression de l’expression « vieux, vieille qui a une connotation péjorative. L’expression recommandée est »personne du 3ème âge »» conseille Dr Rodrigue. Il suggère également qu’en raison de leur richesse « il faut les traiter avec professionnalisme et tact. Il faut comprendre leurs réactions. Il faut faire en sorte de les valoriser, parce que même dans leur faiblesse, il existe des matériaux liés à leur expérience et leur parcours qu’on peut bel et bien exploiter pour une belle évolution de la société ». Pour l’expert des relations humaines, il faut trouver « des mécanismes pour une prise en charge efficace et professionnelle de ces personnes du troisième âge qu’on appelle par abus du langage, les vieux, les pépés, et on verra qu’on peut en profiter ».
✍️Rubensia CODJOVI
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